Après la pandémie, le besoin de réinventer la maison ?

 

Après la pandémie, le besoin de réinventer la maison ?

Mélanie Montagne

« Si l’on veut vivre, nous devrons réinventer une manière de vivre […] Nous sommes contraints à l’évolution »,* estime Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et spécialiste de la résilience, estimant que la pandémie n’est pas une simple crise mais « une catastrophe », la sixième depuis que l’homme existe.

Confinés de longues semaines dans nos intérieurs, nous les avons bénis ou haïs et avons senti que ceux-ci avaient un rôle majeur à jouer dans cette réinvention de l’après. Les professionnels de l’aménagement l’estiment également et nombreux sont ceux qui ont souhaité partager avec nous les réflexions qui les animent et leurs pistes pour les réinventer. Nous les en remercions chaleureusement !

* source : BFM TV, 26 mars 2020

Charlotte Fequet

1. Remettre la maison au centre des préoccupations et transformer nos lieux de vie en lieux de rêve

L’architecte d’intérieur Charlotte Fequet pense qu’en ces temps si particuliers, on prend conscience de beaucoup de choses et la première est « qu’il faut se concentrer sur l’essentiel : l’amour, la famille, le bien-être. Et tout cela peut parfois se retrouver dans un foyer. Je pense donc en effet que tout ce qui touche à la maison a son rôle à jouer ».

Qu’est-ce qui est primordial dans la maison ? « Ses couleurs, ses meubles, ses bibelots, ses souvenirs… tout ce que peut refléter notre intérieur nous appartient et encadre nos moments de vie. Il devient donc important de faire coller notre intérieur au plus près de notre imaginaire, de créer des espaces qui nous ressemblent et où nous nous sentons bien »poursuit-elle.

Et pour l’avenir ? « Après cette crise si mémorable pour tous, je pense qu’il faut oser encore plus transformer nos lieux de vie en lieux de rêves. De mon côté, j’ai envie de dessiner des lieux intemporels : des lignes pures, des matériaux bruts, des couleurs naturelles… », affirme-t-elle.

InDé – créateurs d’identités

2. Créer des lieux d’échange et de partage

Alexandra Teboul (InDé – créateurs d’identités) partage les essentiels de Charlotte Fequet : « Avec le confinement, on se recentre sur la maison, la famille et nos proches. Après cette période, j’ai l’impression qu’on poursuivra sur cette lancée. »

Comment cela se traduira dans la maison ? « Alors qu’avant chacun voulait son espace, on ira davantage vers la création d’espaces familiaux et de partage. Il faudra recréer des vraies zones d’échange dans la maison au lieu de s’isoler chacun dans une pièce derrière son écran. Nous allons essayer de créer des lieux pour se retrouver et prendre un verre, lire et jouer ensemble, quel que soit l’âge. Cela peut aussi passer par la création de rangements dans le salon pour les jeux de société ou l’acquisition d’une belle table de jeux ou d’autres choses qui invitent à partager et échanger », nous a-t-elle confié.

Jean-Christophe Peyrieux

3. Concevoir des espaces polyvalents et modulaires où l’on se sent bien

L’architecte d’intérieur Jean-Christophe Peyrieux relativise pour avancer : « On a vu pire épreuve… Je me réjouis de ne pas avoir à évacuer mon village, envoyer mes fils à la guerre, craindre des bombes… », estime-t-il. « Nous sommes confinés mais nous avons la chance d’avoir les moyens de communication de cette époque (imaginez pendant la Guerre de 40, il n’y a que 80 ans…). »

Que met en exergue le confinement ? « Aujourd’hui, pour se protéger, il faut rester chez soi et cette crise nous fait juste réaliser ce dont on a vraiment besoin au quotidien : protection, confort, chaleur, organisation, intimité, convivialité. »

Comment s’adapter à la maison ? « En concevant des espaces polyvalents et en s’assurant que l’on s’y sent bien. Il faut également veiller à réserver des espaces privés pour chacun. »

Et pour l’avenir ? « Pour nous, architectes, c’est déjà notre challenge quotidien : s’assurer que chacun se sent bien individuellement dans sa maison et réussisse à cohabiter à plusieurs (pour la plupart d’entre nous) dans un espace commun. »

Rejoignant Jean-Christophe Peyrieux et Alexandra Teboul, l’architecte Frédéric Ganichot (OAGA) imagine de « concevoir des espaces plus modulaires pour avoir le choix d’être ensemble ou non. C’est déjà le cas depuis quelque temps, mais peut-être que cette crise va accentuer la tendance. Une chambre d’enfant pourra par exemple devenir une salle de jeu la journée, une chambre d’adulte peut se résumer à un seul lit ou devenir un bureau la journée », nous a-t-il indiqué.

l’Akolyt

4. Inviter l’extérieur à l’intérieur

L’architecte d’intérieur Clément Monnain (l’Akolyt) fait le douloureux constat de la limite des appartements face au confinement, en particulier « car ils ne bénéficient pas d’accès à l’extérieur via un jardin ou un balcon ». Aussi son idée majeure pour réinventer la maison serait de « trouver des solutions pour inviter l’extérieur à l’intérieur ».

Quelles sont les trois solutions qu’il préconise ? « L’utilisation de baies vitrées performantes ou de puits de lumière associé à un système de store, en respect des normes d’isolation pour préserver nos lieux de vie des contraintes environnementales (fortes chaleurs et grand froid chroniques) et diminuer le plus possible notre empreinte carbone. »

Clément, souhaiterait aussi faire entrer la nature dans nos intérieurs « à travers des murs végétaux équipés de système de récupération d’eau ».

Et restent primordiaux à ses yeux « l’utilisation de la lumière et les jeux que nous pouvons faire avec, afin d’évoluer dans un environnement sain dans lequel s’épanouir ».

Decor Interieur
Même constat pour Anne Azoulay de Décor Intérieur « On voit bien que ceux qui habitent en maison ne vivent pas la situation de la même manière que ceux qui sont confinés en appartement en contexte urbain dense. J’imagine que peut-être après cette crise, les citadins qui vivent en appartement et dans des petites surfaces avec enfants (je pense surtout aux Parisiens) vont s’éloigner des villes et se déplacer en banlieue pour des pavillons avec plus de surface et avec un jardin (voire un potager) », nous a-t-elle affirmé.
Paris Terrasse / Paysagistes Paris
Le paysagiste Bruno Petit, de Paris Terrasse, rejoint Clément Monnain et Anne Azoulay dans leur envie de green« Actuellement, dans les villes désertées par les voitures, les gens redécouvrent la faune et les sons de la nature. Tout cela va peut-être nous aider à repenser la ville pour qu’elle soit plus accueillante. Il me semble évident que nous allons considérer le moindre espace extérieur, même le plus petit, comme une pièce supplémentaire de la maison. J’espère que nous privilégierons les paysages dans la ville et redonnerons de la nature aux espaces urbains, malgré les règles strictes que l’on peut rencontrer notamment sur les balcons haussmanniens. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas habiller les façades des bâtiments historiques et j’espère que ces règles qui n’aident pas à faire que la ville soit plus saine seront assouplies. »
Miriam Gassmann

5. Repenser l’habitat de manière durable et plus saine

Pour l’architecte d’intérieur Miriam Gassmann« il est évident que l’expérience du confinement aura certainement révélé ce qui est essentiel et ce qui l’est moins dans l’habitat de chacun. Je mettrais mon énergie de façon redoublée afin de guider les particuliers dans le sens de l’essentiel, soit peu de choses, mais de qualité (donc durables) et propre au fonctionnement personnel de chacun. Vivre avec des choses essentielles qui nous plaisent et correspondent à nos besoins rend heureux ! », nous a-t-elle affirmé.

Pour Miriam, la pandémie marquera un tournant certain dans la pratique de son travail : « Il est urgent de penser l’habitat de façon durable et écologique, il en va de la santé des gens et de la planète. L’habitat doit être un lieu qui nous protège de ce qui peut arriver de l’extérieur et qui permet d’accueillir ceux qu’on aime », explique-t-elle.

Pour mieux concevoir l’habitat de demain, elle lui attribue quatre priorités : « Concevoir intelligemment pour protéger des conditions climatiques (isolation pensée avec des matériaux durables, efficaces et non polluants) ; ne pas consommer trop d’énergie (factures moins importantes pour le foyer et pour la planète) ; être sain (limiter tant que possible les composants organiques volatiles, cela fragilise terriblement la santé pour les habitants et pour les ouvriers) ; et bien sûr, être pensé pour ceux qui y vivent, car un habitat qui vous ressemble est un bien précieux. Il faut bannir l’habitat standardisé : nous sommes tous différents, l’habitat doit l’être aussi ! »

LD&CO.Paris

6. Relocaliser la fabrication du mobilier

La décoratrice Alexandra Gorla se dit « stupéfiée, glacée » par la situation sans précédent que nous traversons et elle sent poindre en elle une grande remise en question : « La décoration m’a toujours paru essentielle au mieux-être des gens. Le “beau” réchauffe le cœur comme une pâtisserie, vous apporte de la douceur. Mais les projets du monde précédent ont peu d’importance au regard de ce que l’on vit aujourd’hui… », affirme-t-elle.

Comment concevoir l’après dans ce contexte ? « J’espère que l’après Covid-19 amènera les gens à ne plus “surconsommer”, à ne pas faire fabriquer des meubles à l’autre bout de la planète, ce qui participe grandement à l’augmentation de la pollution, à ne plus être dépendants comme nous le sommes d’un monde ultra-mondialisé. J’aimerais que les gens puissent faire appel à l’ébéniste de leur quartier pour limiter les émissions de CO2 et aussi choisissent des matériaux écologiques ou de la récupération. Réellement et pas juste une poignée de convaincus, mais que les gens qui ont de faibles moyens puissent aussi construire durablement un espace qui leur convient. »

Dans un des chantiers dont elle est en train de s’occuper, elle compte déjà mettre ses idées en pratique, mais s’inquiète des impacts économiques : « J’ai demandé un devis pour des meubles sur mesure à un ébéniste de ma région dont l’atelier se situe à deux rues du chantier de mes clients. Son devis est deux fois supérieur à celui d’ateliers qui sous-traitent en Italie, au Portugal ou en Espagne… Ce surcoût est lié non aux matériaux, mais au coût de fonctionnement de sa société. Il apparaît que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour faciliter la fabrication de proximité qui crée, outre de l’emploi, du lien social », affirme-t-elle.

Bän Architecture

7. Évoluer vers le travail à la maison

À l’occasion du confinement, l’architecte d’intérieur Cyrielle Benaïm, de Bän Architecture, a goûté comme beaucoup d’entre nous au télétravail : « La crise sanitaire actuelle nous a permis de nous rendre compte que le travail à domicile est une option viable grâce à Internet, ce qui transformera peut-être nos choix professionnels futurs. Une journée de télétravail faciliterait grandement la vie domestique et familiale et éviterait la charge financière d’une location de bureau pour les entrepreneurs. »

Conséquence à la maison ? « On aura probablement tous envie de garder ce petit coin de bureau à la maison après le confinement ! », a-t-elle estimé.

Et plus largement ? « J’ai constaté au fil des années que quelle que soit la dimension d’un appartement, il y a toujours un goût de trop peu. La nécessité d’optimiser l’espace, qui pourrait sembler indispensable uniquement sur de petites surfaces, s’avère être vraie sur des surfaces plus grandes. On a toujours le sentiment qu’une pièce en plus ou un volume supplémentaire serait “idéal”. Ma mission en tant qu’architecte vise justement à effacer ce sentiment de trop peu et de l’inverser en un sentiment de volume et de luminosité qui apportera le plus grand bonheur à l’habitant », estime-t-elle.

Tiny House Baluchon

8. S’inspirer du courant minimaliste

Cyrielle Benaïm tire un autre constat de cette pandémie : « La crise économique induite par ce contexte nous obligera dans beaucoup de cas à réduire nos dépenses et donc probablement nos surfaces habitables. Les crises économiques qui s’enchaînent font entrer les gens dans un stress permanent de précarité de l’emploi. Il devient de plus en plus compliqué de faire des plans à 10-20-30 ans. Le choix de se libérer d’un crédit lourd ou d’un loyer sera de plus en plus courant à l’avenir selon moi. »

À ces problèmes économiques, l’architecte d’intérieur entrevoit une solution : « Je suis obsédée par le mouvement (surtout aux USA, mais cela arrive peu à peu en Europe) des tiny houses qui sont pour moi les logements du futur. Ces habitats de 20 à 40 m² environ peuvent accueillir des familles avec enfants et multiplient l’ingéniosité et les astuces pour tout faire entrer sans se sentir “puni”. Les matériaux y sont nobles et cela met le travail des artisans et menuisiers à l’honneur. »

Et pour vivre heureux, vivons petit, à en croire Cyrielle : « Je suis fortement inspirée par le mouvement du minimalisme, visant à consommer autrement et à accumuler moins de choses sans utilité ou qui ne procurent pas de joie particulière. Pour rester heureux dans un espace plus restreint, il faut savoir réduire ses objets/possessions. Je trouve dommage d’acheter des mètres carrés parisiens pour y faire des placards de choses qu’on ne touche pas au quotidien, qu’on accumule ou dont on ne se souvient même plus. L’avantage d’un petit appartement est aussi de passer moins de temps à faire le ménage, à ranger ! », nous a-t-elle confié.

Épicène

9. Faire muter la maison du paraître à l’être

Isabelle Heilmann (Agence Épicène) est pour sa part en quête de plus de sens. « L’architecture intérieure avant le Covid-19 se caractérisait par “la recherche d’une esthétique visuelle ‘instagramable’, très sensible aux modes et aux objets de design et de décoration”. Les clients privilégiaient l’amélioration esthétique de leur habitation ainsi que le gain financier (efficacité énergétique et valeur à la revente) », précisait-elle. Elle citait à l’appui la dernière étude Houzz et la Maison 2019, dans laquelle 70 % des particuliers répondant affirmaient rechercher en priorité des prestations de décoration.

Qu’est-ce qui va changer ? « Lorsque l’on reste en famille 24h/24h à l’intérieur du même espace, il est probable que les éléments essentiels qui font la qualité d’un intérieur reprennent tous leurs droits. Ces éléments sont le soleil, l’espace, l’air ambiant. »

Comment cela se traduira dans nos logements ? « Après une catastrophe comme celle du Covid-19, les attentes devraient se déplacer du “paraître” à “l’être” et donc à la redéfinition du domicile comme : un lieu sain et protecteur (aéré, bien isolé, facile à nettoyer) ; un lieu confortable (volume, aménagement, circulation, lumière) ; un lieu modulable permettant des usages multiples (télétravail, études scolaires, pratique sportive, cuisine). C’est le rôle prioritaire de l’architecte d’intérieur de garantir ces qualités essentielles à l’espace : une jolie gamme couleurs ne compensera jamais un intérieur mal conçu ! Et même un propriétaire peu féru de décoration sera sensible à une rénovation qui transformera une pièce sombre et encombrée en un espace ouvert, lumineux et évolutif », estime-t-elle.

CHADOWS Design d’Intérieur

10. Cap sur le confort et le bien-être !

Pour la décoratrice d’Intérieur Charlotte Hasbroucq (Chadows – Design d’Intérieur), cet épisode difficile aura des conséquences immédiates sur notre façon d’appréhender la maison : « Mon sentiment est que les personnes confinées chez elles se sont retrouvées 24h/24 dans leur intérieur, où les notions de confort et de refuge ont pris le dessus sur le design. Ainsi, on imagine bien qu’un canapé ultra-design aux lignes épurées sera relégué au placard dès la fin du confinement pour laisser place à un modèle beaucoup plus moelleux, des coussins, du gonflant », affirme-t-elle.

Et pour l’avenir ? « Dans tous mes projets, je rechercherai encore plus cette notion de confort, de sentiment de cocon, le fameux “hygge” des pays nordiques, qui ont tout compris au bien-être ressenti grâce à la décoration intérieure. Cela me parle beaucoup, car je suis originaire de Lille et fortement influencée par le style belge : les matières chaleureuses, les bougies y sont présentes en force, les couleurs sont sobres et douces », nous a-t-elle affirmé.

ATMOSPHÈRES DESIGN

11. Penser la maison comme la scène d’une vie

Pour l’architecte Patricia Coignard, de l’agence Atmosphères Design, la maison, l’appartement ou le studio se dévoilent dans le contexte de confinement actuel comme « un lieu de multiples usages au quotidien et à partager. Une unité de lieu comme au théâtre qui impose une réflexion passionnante et interdisciplinaire ».

Comme elle est basée dans l’Oise, l’un des premiers clusters de la pandémie, elle a vécu un confinement rallongé et ne peut s’empêcher de réfléchir à une potentielle prochaine fois. Elle nous propose trois pistes pratiques pour mieux penser la scène de notre vie. « En cas de récidive de confinement, il s’agira d’être plus précis et créatif pour les solutions de rangement et de stockage, les espaces ou coins bureaux dédiés à chaque membre de la famille, des espaces de convivialité pour se retrouver », estime-t-elle.

Autre piste essentielle : « Il est important aussi de mettre l’accent sur la mise en lumière avec une belle déclinaison de la lumière technique, la lumière d’ambiance globale et la lumière déco car cela contribue au bien-être chez soi. »

Enfin, dernier thème qu’elle continuera de travailler : « La végétalisation des intérieurs et des terrasses, même les plus petites, qui apportent un espace d’évasion et de contact avec la nature ! »

Expression Architecte Intérieur

Concluons avec ces messages d’espoir de nos pros.

« Penser à l’après me remet du baume au cœur… », Alexandra Gorla.
« J’espère qu’on va prendre plus conscience de respecter la Terre… », Stéphanie Romon, d’Expression Architecte d’intérieur.

« Le futur pour moi ressemblera à une vie ou l’ambition professionnelle glissera vers une ambition de bonheur personnel de façon plus équilibrée, laissant plus de place aux loisirs, aux relations familiales et amicales. Nous vivrons plus au présent et penserons moins au futur et nous serons très heureux ainsi », Cyrielle Benaim.

« On ne peut pas espérer vivre une vie complète (disons de 90 ans) sans traverser d’épreuves. Elles nous font relativiser, grandir et surtout nous adapter, notre plus grande force naturelle », Jean-Christophe Peyrieux.

« Il paraît qu’après chaque catastrophe, un nouvel essor s’en dégage, alors je me concentrerai sur le positif de l’après… À nous de lancer une RE-renaissance ! », Charlotte Fequet.

ET VOUS ?
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